Je suis nounou

Si tu me suis sur Twitter, tu as dû suivre un peu mes pérégrinations, mon angoisse ne plus avoir une thune pour payer EDF, et ma soudaine recherche frénétique d’un job. Si tu me suis un peu sur Facebook, ou que tu me connais, par ailleurs, tu sais que dans la vie moi ce que je kiffe, ce sont les mômes, et que j’envisage difficilement de faire autre chose comme travail qu’un truc en relation avec les enfants.

J’ai donc postulé pour trente mille jobs et j’ai eu trois réponses dont deux négatives, mais là où la vie est bien faite, c’est qu’on m’a aussi fait des « propositions spontanées », depuis un groupe Facebook que j’affectionne tout particulièrement. Je l’aime car on y parle parentalité et éducation bienveillante et respectueuse, et que contrairement à 98% des autres sites du monde de l’internet traitant des mêmes sujets, j’y ai moi aussi mon mot à dire, bien qu’ignorante nullipare pleine d’idéaux et d’illusions.

Intervenir sur ce groupe (un truc de bisounours je te raconte même pas) m’a fait faire de jolies rencontres… et m’a fait décrocher un boulot. Je garde maintenant deux petits bonhommes en bas âge, pendant 16 heures par mois. Jeudi dernier, j’ai fait ma première « vraie » garde : papa et maman se sont offerts un cinéma et j’ai géré dîner, jeu et coucher des enfants.

Appelons-les Le Petit et Le Grand. (parce qu’il y en a un petit et un grand)

Le Petit s’est mis à pleurer dès que son papa a fait mine de partir. Du coup il est resté un peu, lui a fait des bisous, lui a dit qu’il allait revenir, mais bon, le cinéma ça n’attend pas et puis le but c’était pas qu’il reste toute la soirée quand même. Alors j’ai pris Le Petit dans mes bras, et je l’ai bercé, en lui disant que papa allait revenir, qu’il ramènerait même maman avec (le fou !) et qu’en attendant, c’était peut-être pas le top, mais j’allais m’occuper de lui. Et je comprends, mon bonhomme, que ce soit difficile, on se connaît pas beaucoup toi et moi…

Le Grand, lui, il s’en tapait amoureusement le coquillard, que papa soit parti. (je l’avais déjà acheté à coup de « c’est lequel ton pigeon préféré ? » le mardi d’avant au parc, maligne que je suis) (et on avait fait la taille et il était plus grand que moi, tu penses bien) Mais Le Grand, il a Grand Coeur aussi, du coup il faisait des câlins à son Petit de frère, j’avais pas vu un truc aussi mignon depuis les bébés hérissons, alors mon coeur a fondu.

Ensuite on a joué. Enfin… « on »…

Ils sont tous les deux allés dans le jardin et ont eu des activités que j’ai un peu de mal à comprendre du haut de mon jeune-adultat : taper par terre avec un bâton, martyriser le chat, faire rouler un chariot sans fin et sans but apparent. Mais ils s’amusaient, ils étaient choupinoukinous, et Le Grand me lançait régulièrement des « Egar c’que j’sais faire ! Egar ! », alors je egardais, je disais « dis donc ! » (on peut difficilement faire mieux sans verser dans l’hypocrisie : il tapait par terre avec un bâton quoi…) et je retournais les surveiller derrière la porte vitrée, parce que je commençais à avoir froid. Les mômes, eux, increvables. Le seul truc qui a pu les stopper, c’était la faim.

J’ai branché mon téléphone sur la station audio, j’ai mis du Tunng, et j’ai commencé à faire des pâtes. J’ai ouvert une boîte de courgettes Cassegrain (j’ai eu un peu honte de pas leur faire VRAIMENT la cuisine, mais tu verras plus tard que c’était pas vraiment nécessaire) et je l’ai mise à réchauffer. Enfin, avant ça, j’ai galéré trois ans avec les plaques électriques, ça a senti un peu le cramé j’ai jamais compris pourquoi, et j’ai fait un peu de vaisselle.

Pendant ce temps-là, Le Petit commençait à avoir grave la dalle, d’après ce que j’ai compris.

Je lui ai honteusement refilé des morceaux de pain en attendant que les pâtes soient prêtes.

Et après mon cerveau s’est allumé (quand ses cris ont commencé à ressembler vaguement à « Eh dis donc ma grande, tu te foutrais pas un peu de ma gueule par hasard ?! ») : il a 16 mois, Le Petit. Il s’en bat les steaks de tes pâtes là, il veut son biberon.

(j’avais raison, hein, pour ceux qui doutent) (j’ai toujours raison)

Je lui ai fait son biberon.

J’ai quand même dû mélanger la poudre avec une cuillère parce que je ne trouvais pas le couvercle du biberon pour pouvoir mélanger la préparation énergiquement sans en foutre partout.

Les couvercles étaient au dessus de l’évier, sagement rangés. Mais je ne l’ai vu qu’une fois Le Petit sur mes genoux à siroter son bibi.

Entre temps les pâtes étaient cuites, les courgettes réchauffées, et Le Grand avait réussi à se coincer les jambes dans la chaise haute du Petit, et je n’ai rien compris au système de cette chaise, j’ai donc paniqué cinq minutes (Le Grand : « t’as qu’à appeler maman comme quand tu savais pas ouvrir la poussette du Petit ! ») (adorable je te dis) (non, j’ai pas non plus réussi à détacher Le Petit du premier coup la première fois, C’EST BON, j’ai plus l’habitude des poussettes moi…) et puis j’ai fini par le tirer de là par le haut, en me réalisant que de toute manière c’était la bonne méthode, mais que la chaise était faite pour un 2 ans maximum, pas pour un bon 3 ans et demi…

A table, donc.

Le Grand avec ses pâtes-courgettes sur SA chaise, Le Petit avec son biberon sur mes genoux et une petite assiette avec 5 pâtes et 1 morceau de courgette. Il boit, il pose le biberon, il prend une pâte du bout des doigts, la fourre dans sa bouche, la recrache. Et la met sur mon jean. Car c’est mieux. Et il reboit. Et ainsi de suite. J’ai subrepticement mis toutes les pâtes par terre, il en avait jusque sous les fesses, quand je me suis relevée. J’ai pas fait exprès, roh, ça va.

Le Grand a mangé UNE pâte. Et il a vaguement trempé le bout de sa fourchette dans la sauce des courgettes. Mais faut dire que lui et moi, on s’était enfilé un « pain au fromaze » et demi, à tous les deux, en attendant le repas. (pour info, j’ADORE ce truc, je connaissais pas, mais le pain fourré au Maroilles c’est une bonne grosse tuerie, vivement la prochaine garde que je m’en offre un)

« Tu veux plus manger, Le Grand ?

– Non, j’ai pu faim.

– Tu veux faire quoi alors ?

– Ze veux manzer un yayourt. »

Et vas-y que je me retrouve à sortir un yaourt du frigo, j’y mets une cuillère de confiture de fraise (« passque c’est cro bon la fraise ! »), je mélange pas (« noooon !!! » mais quelle aberration Pauline enfin !!) et il en mangera une cuillerée. Son Petit de frère, un peu plus, entre deux pâtes à moitié mâchées.

Finalement, je vois bien que Le Petit se frotte les yeux, alors je me dis, « chouette, 20h, je suis presque dans les temps, au dodo ! », et tout le monde grimpe se mettre en pyjama. Le Grand fait le fifou sur son lit, Le Petit n’aime manifestement pas que n’importe quelle connasse en marinière lui change sa couche. Je comprends. Je le lui dis, tout en la changeant quand même, marinière ou pas je laisse personne mariner dans son pipi. Je lui passe son pyjama et je le boutonne sur mes genoux, pendant que Le Grand fait son show en se mettant en pyj. Il garde ses chaussettes Cars, parce que Flash McQueen. J’y avais pas pensé, suis-je bête.

Et j’essaye d’endormir Le Petit.

Echec cuisant mais cuisant… Il pleure, il gémit, il se tortille… je le laisse marcher dans sa chambre, Le Grand descend pour jouer en attendant que son frère dorme, mais je le vois bien, que ce Petit n’a qu’une envie : rejoindre son frère et faire la bringue. Dur dur de faire dodo sans ses parents pour le rassurer… On redescend tous ensemble… Je ferme les volets quasiment jusqu’en bas, la luminosité est très faible. Je dis « maintenant, on parle tout doucement… et on attend le train du dodo – ou papa et maman. On verra bien qui arrive le premier ».

A ma grande surprise, ils vont vaquer à leurs occupations, presque silencieux. Ils chuchotent naturellement, et quand Le Petit tape sur un objet, Le Grand lui dit « Chuuuut Petit, ça fait beaucoup trop de brouit ! » Je leur montre qu’on peut taper sur un tam-tam tout doucement avec un seul doigt, et il fait quand même du bruit. Le Petit se remet à pleurer, je sens qu’il est fatigué, tendu, mais qu’il n’« ose » pas s’endormir : il lui manque papa et maman. Il se blottit sur mes genoux, contre mon coeur, et je lui chante ma berceuse préférée : Ani Kuni… je me souviens de mes petits frères que je berçais contre moi pour les rendormir, et j’entends Le Grand prêter une oreille très attentives à mes marmonnements iroquois.

Mais ça commence à sentir sérieusement le gros pet coulant.

Avant que Le Petit ne s’endorme sur moi le cucul plein de caca, je me lève et monte le changer. Le coeur brisé, puisqu’il pleure à fendre l’âme… Je lui remets vite fait une couche propre et je décide de laisse tomber le rhabillage de circonstances : je l’enveloppe dans une couverture, je chope son doudou et je le serre tout contre moi, en m’excusant de lui faire subir tout ça. (non sérieux, qui kifferait se faire torcher les fesses par un inconnu ? j’ai déjà du mal avec les examens médicaux de base, alors t’inquiète si je le comprends le gamin) Le Grand nous a suivi et il a l’air tout triste pour son petit frère, qui lui s’est calmé la tête contre mon coeur.

Je vais m’installer dans le canapé, Le Petit sur mes genoux. Il n’en bougera plus de la soirée. Le Grand jouera encore un peu, puis viendra nous observer tandis que je chante encore, au choix Ani Kuni ou Sur la Blanche Banquise, ma version personnelle sur l’air de Pirouette-Cacahuète. Quand je lui dis, « Si tu veux tu peux venir t’asseoir à côté de moi, on va attendre papa et maman », il ne se fait pas prier. Il s’allonge à moitié face à moi et se met à me raconter les deux films Cars en long, en large et en travers.

Si je n’avais pas eu deux petits frères pour le faire avant lui, j’aurais peut-être (peut-être…) tout écouté. Mais je n’ai fait qu’acquiescer de temps en temps, et parfois lui demander de parler un tout petit peu moins fort, pour ne pas réveiller son frère…

Car oui, Le Petit, tout apeuré, s’est endormi sur moi, le pouce dans la bouche, la main serrée sur son doudou, bien emmitouflé dans la couverture verte. Il ronque comme un loir, je sens sa respiration apaisante et apaisée contre ma peau, je suis secrètement ravie.

Et papa et maman reviennent. Je fais la transition, je rends son Petit à maman, on parle un peu de la soirée avec papa, qui me raccompagne, avec Le Grand, en voiture jusqu’à chez moi. Sur le chemin, je parle un peu de mes petits frères, qui ont six ans.

« Eh ben moi z’aurai bientôt quatre ans !

– Wah ! Et tu auras quatre ans quand ?

– Ben quand z’aurai plus trois ans et demi, pff… »

Pff… Je rentre chez moi, exténuée, et Monsieur nous fait un plat de pâtes. Je suis contente de cette soirée, même si je suis loin d’avoir tout géré comme je l’aurais voulu. Je me connecte sur Facebook, sur le groupe dont je t’ai parlé, et je vois ça :

Je suis nounou

T’imagines pas la tête que je fais. J’ai des larmes au coin des yeux, je suis la plus heureuse de la terre. Je me dis que si Le Grand a dit ça à sa maman, c’est qu’on avait passé un chouette moment tous les trois, malgré les pâtes par terre (désolée maman) et les pleurs du Petit. Je me dis qu’on s’est bien trouvées, maman et moi, via ce groupe : on était sûres d’être sur la même longueur d’onde en matière d’accompagnement d’enfant. Et je me dis que c’est ça, c’est ce que je suis, tout au fond de moi.

Je suis nounou.

crédit photo : © maeve88

15 commentaires

  1. Voila Une Jeune Idiote adorable. J’ai beaucoup ri avec le coup des pates sur le pantalon ! Et puis quelle jolie écriture. J’avais lu avec beaucoup d’intérêt l’article sur « il n’y a pas de petite claque », du coup je m’abonne. Heu… pour le CD de MM, c’est pas la peine ;o)).
    Merci Pauline

  2. ♥♥♥ si un jour tu es en « vacances » en suisse et que l’expérience « nounou de triplés » te tente, pense a moi :-D ;-)

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